VENEZ ME REJOINDRE SUR STEPHANIEBRICAULT.BLOGSPOT.COM

Biographie et poésie de Nérée Beauchemin (1850-1931)

Nérée Beauchemin

Biographie et poésie de
Nérée Beauchemin (1850-1931)
Poète du terroir et médecin de campagne à Yamachiche.



Le docteur Charles-Nérée Beauchemin est né le 20 février 1850 à Yamachiche. . Il fait ses débuts dans les journaux en 1871, puis il fait paraître son premier recueil, Les Floraisons matutinales, en 1897. En 1928, il publie son deuxième et dernier recueil, Patrie intime. On reconnaît à ce moment l'importance de son oeuvre et on lui accorde une médaille de l'Académie française. Il était le fils d'Hyacinthe Beauchemin, médecin, et d'Elzire Richer Laflèche. Le docteur Hyacinthe Beauchemin était le fils d'Antoine et le frère de Charles-Odilon Beauchemin, libraire-éditeur, et fondateur de la Librairie Beauchemin, toujours vivante.  Nérée Beauchemin fit ses études primaires à l'Académie Sainte-Anne de Yamachiche, ses études classiques au séminaire de Nicolet, de septembre 1863 à mai 1870, et ses études universitaires à l'Université Laval, à Québec, de septembre 1870 au 19 juin 1874, où il obtint sa licence en médecine.  Admis à la pratique médicale, il s'établit avec son père, à Yamachiche, dans la maison natale. Dix ans plus tard, il achète la maison de député Charles Gérin-Lajoie, celle-ci étant située au coin opposé de la même rue. À peine est-il installé dans sa nouvelle maison que son père, atteint de fièvre typhoïde, meurt. Le mois suivant, Nérée Beauchemin épouse Anne Lacerte, fille du docteur Élie Lacerte, qui demeurait en face de chez lui, de l'autre côté de la rue Sainte-Anne.  Considéré comme l'un des premiers écrivains du terroir, Nérée Beauchemin a partagé sa vie entre son métier de médecin et l'écriture. En 1884, avec la publication de son poème « Le Lac » dans La Patrie, il entame une collaboration d'une vingtaine d'année avec ce journal. Parrainé par Louis Fréchette, il devient membre de la Société royale en 1896. Son œuvre poétique, simple, patriotique et intimiste, se résumera essentiellement en deux recueils, Les Floraisons matutinales (1897) et Patrie intime (1928), avant que ne paraisse, en 1973, l'édition critique d'Armand Guilmette où seront réunis, outre ces deux recueils, des poèmes de jeunesse ainsi que des poèmes posthumes. En 1930, on lui décerne la Médaille de l'Académie française.

Il meurt à Yamachiche le 29 juin 1931 à 81 ans. Le 22 octobre 1950, la Société Royale et l'Académie canadienne-française se font représenter aux cérémonies d'hommage de Yamachiche, où les villageois célèbrent le 100e anniversaire du poète. La même année, avec une étude-préface de Clément Marchand, Choix de poésies de Nérée Beauchemin se fait publier posthumément. Au 4 janvier 1952, Yamachiche rend un dernier hommage au poète en se donnant une rue Nérée Beauchemin. Trois-Rivières accomplit le même hommage en mémoire de Beauchemin. Aujourd'hui, il est considéré comme un des premiers écrivains du terroir.

Oeuvres poétiques :

Les floraisons matutinales (1897)
Patrie intime : harmonies (c1928, 1987)
Choix de poésie de Nérée Beauchemin (1950)
Nérée Beauchemin : textes choisis et présentés par Clément Marchand (c1957, 1964)




Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931) Roses d'automne

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931)

Roses d'automne

Aux branches que l'air rouille et que le gel mordore,
Comme par un prodige inouï du soleil,
Avec plus de langueur et plus de charme encore,
Les roses du parterre ouvrent leur coeur vermeil.

Dans sa corbeille d'or, août cueillit les dernières :
Les pétales de pourpre ont jonché le gazon.
Mais voici que, soudain, les touffes printanières
Embaument les matins de l'arrière-saison.

Les bosquets sont ravis, le ciel même s'étonne
De voir, sur le rosier qui ne veut pas mourir,
Malgré le vent, la pluie et le givre d'automne,
Les boutons, tout gonflés d'un sang rouge, fleurir.

En ces fleurs que le soir mélancolique étale,
C'est l'âme des printemps fanés qui, pour un jour,
Remonte, et de corolle en corolle s'exhale,
Comme soupirs de rêve et sourires d'amour.

Tardives floraisons du jardin qui décline,
Vous avez la douceur exquise et le parfum
Des anciens souvenirs, si doux, malgré l'épine
De l'illusion morte et du bonheur défunt.

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931) Rayons d'octobre (IV)

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931)

Rayons d'octobre (IV)

Maintenant, plus d'azur clair, plus de tiède haleine,
Plus de concerts dans l'arbre aux lueurs du matin :
L'oeil ne découvre plus les pourpres de la plaine
Ni les flocons moelleux du nuage argentin.

Les rayons ont pâli, leurs clartés fugitives
S'éteignent tristement dans les cieux assombris.
La campagne a voilé ses riches perspectives.
L'orme glacé frissonne et pleure ses débris.

Adieu soupirs des bois, mélodieuses brises,
Murmure éolien du feuillage agité.
Adieu dernières fleurs que le givre a surprises,
Lambeaux épars du voile étoilé de l'été.

Le jour meurt, l'eau s'éplore et la terre agonise.
Les oiseaux partent. Seul, le roitelet, bravant
Froidure et neige, reste, et son cri s'harmonise
Avec le sifflement monotone du vent.

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931) Rayons d'octobre (III)

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931)

Rayons d'octobre (III)

Écoutez : c'est le bruit de la joyeuse airée
Qui, dans le poudroîment d'une lumière d'or,
Aussi vive au travail que preste à la bourrée,
Bat en chantant les blés du riche messidor.

Quel gala ! pour décor, le chaume qui s'effrange ;
Les ormes, les tilleuls, le jardin, le fruitier
Dont la verdure éparse enguirlande la grange,
Flotte sur les ruisseaux et jonche le sentier.

Pour musique le souffle errant des matinées ;
La chanson du cylindre égrenant les épis ;
Les oiseaux et ces bruits d'abeilles mutinées
Que font les gais enfants dans les meules tapis.

En haut, sur le gerbier que sa pointe échevèle,
La fourche enlève et tend l'ondoyant gerbillon.
En bas, la paille roule et glisse par javelle
Et vole avec la balle en léger tourbillon.

Sur l'aire, les garçons dont le torse se cambre,
Et les filles, leurs soeurs rieuses, déliant
L'orge blonde et l'avoine aux fines grappes d'ambre,
Font un groupe à la fois pittoresque et riant.

En ce concert de franche et rustique liesse,
La paysanne donne une note d'amour.
Parmi ces rudes fronts hâlés, sa joliesse
Évoque la fraîcheur matinale du jour.

De la batteuse les incessantes saccades
Ébranlent les massifs entraits du bâtiment.
Le grain doré jaillit en superbes cascades.
Tous sont fiers des surplus inouïs du froment.

Déjà tous les greniers sont pleins. Les gens de peine
Chancellent sous le poids des bissacs. Au milieu
Des siens, le père, heureux, à mesure plus pleine,
Mesure et serre à part la dîme du bon Dieu.

Il va, vient. Soupesant la précieuse charge
Et tournant vers le ciel son fier visage brun,
Le paysan bénit Celui dont la main large
Donne au pieux semeur trente setiers pour un.

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931) Rayons d'octobre (II)

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931)

Rayons d'octobre (II)

À peine les faucheurs ont engrangé les gerbes
Que déjà les chevaux à l'araire attelés
Sillonnent à travers les chardons et les herbes
La friche où juin fera rouler la mer des blés.

Fécondité des champs ! cette glèbe qui fume,
Ce riche et fauve humus, recèle en ses lambeaux
La sève qui nourrit et colore et parfume
Les éternels trésors des futurs renouveaux.

Les labours, encadrés de pourpre et d'émeraude,
Estompent le damier des prés aux cent couleurs.
De sillons en sillons, les bouvreuils en maraude
Disputent la becquée aux moineaux querelleurs.

Et l'homme, aiguillonnant la bête, marche et marche,
Pousse le coutre. Il chante, et ses refrains plaintifs
Évoquent l'âge où l'on voyait le patriarche
Ouvrir le sol sacré des vallons primitifs.

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931) Rayons d'octobre (I)

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931)

Rayons d'octobre (I)

Octobre glorieux sourit à la nature.
On dirait que l'été ranime les buissons.
Un vent frais, que l'odeur des bois fanés sature,
Sur l'herbe et sur les eaux fait courir ses frissons.

Le nuage a semé les horizons moroses,
De ses flocons d'argent. Sur la marge des prés,
Les derniers fruits d'automne, aux reflets verts et roses,
Reluisent à travers les rameaux diaprés.

Forêt verte qui passe aux tons chauds de l'orange ;
Ruisseaux où tremble un ciel pareil au ciel vernal ;
Monts aux gradins baignés d'une lumière étrange.
Quel tableau ! quel brillant paysage automnal !

À mi-côte, là-bas, la ferme ensoleillée,
Avec son toit pointu festonné de houblons,
Paraît toute rieuse et comme émerveillée
De ses éteules roux et de ses chaumes blonds.

Aux rayons dont sa vue oblique est éblouie,
L'aïeul sur le perron familier vient s'asseoir :
D'un regain de chaleur sa chair est réjouie,
Dans l'hiver du vieillard, il fait moins froid, moins noir.

Calme et doux, soupirant vers un lointain automne,
Il boit la vie avec l'air des champs et des bois,
Et cet étincelant renouveau qui l'étonne
Lui souffle au coeur l'amour des tendres autrefois.

De ses pieds délicats pressant l'escarpolette,
Un jeune enfant s'enivre au bercement rythmé,
Semblable en gentillesse à la fleur violette
Que l'arbuste balance au tiède vent de mai.

Près d'un vieux pont de bois écroulé sur la berge,
Une troupe enfantine au rire pur et clair,
Guette, sur les galets qu'un flot dormant submerge,
La sarcelle stridente et preste qui fend l'air.

Vers les puits dont la mousse a verdi la margelle,
Les lavandières vont avec les moissonneurs ;
Sous ce firmament pâle éclate de plus belle
Le charme printanier des couples ricaneurs.

Et tandis que bruit leur babillage tendre,
On les voit déroulant la chaîne de métal
Des treuils mouillés, descendre et monter et descendre
La seille d'où ruisselle une onde de cristal.

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931) Québec

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931)

Québec

Comme un factionnaire immobile au port d'arme,
Dans ces murs où l'on croit ouïr se prolonger
Le grave écho lointain d'un qui vive d'alarme,
À ses gloires Québec semble encore songer.

L'humble paix pastorale a replié son aile
Sur l'âpre terre où gît le sombre camp des morts :
Du bugle ensanglanté, la plaine solennelle
N'entend plus retentir les tragiques accords.

Au flanc de la redoute, aux poternes ouvertes,
Aux créneaux de la tour, aux brèches des remparts,
La mousse dont l'avril a teint les franges vertes,
Suspend ses verts pavois et ses verts étendards.

Au port ne viendront plus mouiller les caravelles.
Qu'importe ? contre toute espérance, on attend.
On attend qu'on nous fasse assavoir des nouvelles
Des bourgs d'où sont venus les purs Français d'antan.

Hanté du souvenir qui le tient en tristesse,
De par delà les mers, du lointain, de là-bas.
L'ancien logis qu'enchante une immortelle hôtesse,
De jours en jours attend quelqu'un qui ne vient pas.

Souventes fois, la nuit, comme aux jours des grands sièges,
Vibrent d'étranges sons de cors et de tambours :
Et, souvent, l'on a cru voir de pompeux cortèges
Défiler, radieux, sous l'ombre des faubourgs.

Une garde fantôme, une ronde macabre,
Passe, marchant à pas sonore et régulier,
Et l'on entend tinter des cliquetis de sabre
Sur les marches de bois du gothique escalier.

Ô Québec, reste fier, reste haut sur la rampe
Que dore le passé. Pour nous hausser le coeur,
Pour brandir fièrement les couleurs de ta hampe,
Sois-tu toujours debout, soit-tu toujours vainqueur !

Tant que les doux rivaux du divin Crémazie,
Inclinés sous le vol d'un lyrisme idéal,
Invoquant à genoux la sainte poésie,
Chanteront à plein coeur l'hymne national :

Tant que le pur accent d'une langue immortelle
Vibrera dans l'ancien parler pur de chez nous ;
Tant qu'un rayon d'amour luira dans la prunelle
De la Canadienne aux clairs jolis yeux doux !

À plein ciel, sur les toits, sur les places publiques,
Les hivers succédant aux hivers, neigeront.
Les châsses où la France a serti ses reliques
Sous leur rouille de gloire oncques ne périront.

Aujourd'hui le coeur s'ouvre, et tout revit. Sur l'onde
Dansent les rayons d'or du clair soleil pascal.
Le roc s'ouvre. Qui vive ?... Il faut que l'on réponde,
Sans peur, à haute voix : Frontenac et Laval.

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931) Perce-neige

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931)

Perce-neige

Radieuses apothéoses
Du soleil d'or et du ciel bleu,
Fraîche gloire des printemps roses,
Pourquoi donc durez-vous si peu ?

Pourquoi donc êtes-vous si brèves,
Aubes de l'enfance ? Beaux jours,
Si pleins d'aromes et de sèves,
Pourquoi donc êtes-vous si courts ?

Jeunesse, où sont-elles allées
Les hirondelles de jadis ?
Où sont les ailes envolées
De tes merveilleux paradis ?

Et vous, poétiques chimères,
Que dore un rayon d'idéal,
Blondes idylles éphémères,
N'auriez-vous qu'un seul floréal ?

Ô fleurs, vous n'êtes pas finies !
Les plus tristes de nos saisons
Auront encor des harmonies
Et des regains de floraisons.

La mortelle saison du givre
N'a pas tué toutes nos fleurs :
Nous pourrons encore revivre
Le passé, dans des jours meilleurs.

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931) Patrie intime

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931)

Patrie intime

Je veux vivre seul avec toi
Les jours de la vie âpre et douce,
Dans l'assurance de la Foi,
Jusqu'à la suprême secousse.

Je me suis fait une raison
De me plier à la mesure
Du petit cercle d'horizon
Qu'un coin de ciel natal azure.

Mon rêve n'ai jamais quitté
Le cloître obscur de la demeure
Où, dans le devoir, j'ai goûté
Toute la paix intérieure.

Et mon amour le plus pieux,
Et ma fête la plus fleurie,
Est d'avoir toujours sous les yeux
Le visage de ma patrie.

Patrie intime de ma foi,
Dans une immuable assurance,
Je veux vivre encore avec toi,
Jusqu'au soir de mon espérance.

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931) Notre terre

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931)


Notre terre

Terre, dont les âpres rivages
Et les promontoires géants
Refoulent les vagues sauvages
Que soulèvent deux océans ;

Terre qui, chaque avril, émerges,
Toute radieuse, à travers
La cendre de tes forêts vierges
Et la neige de tes hivers ;

Terre richement variée
De verdure et de floraisons,
Que le Seigneur a mariée
Au Soleil des quatre saisons ;

Reine des terres boréales,
Qui, sans mesure, donnes l'or,
L'or et l'argent des céréales,
Sans épuiser son grand trésor ;

Terre qui, d'un prime amour veuve,
N'a cessé de donner le sein
Au peuple, qui de toute épreuve,
Échappa toujours, sauf et sain ;

Terre de la persévérance,
Terre de la fidélité,
Vivace comme l'espérance,
Sereine comme un ciel d'été ;

Terre dont la race évolue
En nombre, en verdeur, en beauté,
Notre Terre, je te salue,
Avec amour, avec fierté !

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931) Ma lointaine aïeule

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931)

Ma lointaine aïeule

Par un temps de demoiselle,
Sur la frêle caravelle,
Mon aïeule maternelle,
Pour l'autre côté de l'Eau,
Prit la mer à Saint-Malo.

Son chapelet dans sa poche,
Quelques sous dans la sacoche,
Elle arrivait, par le coche,
Sans parure et sans bijou,
D'un petit bourg de l'Anjou.

Devant l'autel de la Vierge,
Ayant fait brûler le cierge
Que la Chandeleur asperge,
Sans que le coeur lui manquât,
La terrienne s'embarqua.

Femme de par Dieu voulue,
Par le Roy première élue,
Au couchant, elle salue
Ce lointain mystérieux,
Qui n'est plus terre ni cieux.

Et tandis que son oeil plonge
Dans l'azur vague, elle songe
Au bon ami de Saintonge,
Qui, depuis un siècle, attend
La blonde qu'il aime tant.

De la patrie angevine,
Où la menthe et l'aubépine
Embaument val et colline,
La promise emporte un brin
De l'amoureux romarin.

Par un temps de demoiselle,
Un matin dans la chapelle,
Sous le poêle de dentelle,
Au balustre des époux,
On vit le couple à genoux.

Depuis cent et cent années,
Sur la tige des lignées,
Aux branches nouvelles nées,
Fleurit, comme au premier jour,
Fleur de France, fleur d'amour.

Ô mon coeur, jamais n'oublie
Le cher lien qui te lie,
Par-dessus la mer jolie,
Aux bons pays, aux doux lieux,
D'où sont venus les Aïeux.

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931) Ma France

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931)

Ma France

Français je suis, je m'en vante,
Et très haut, très clair, très fort,
Je le redis et le chante.
Oui, je suis Français d'abord.
Mais, n'ayez soupçon ni doute,
Pour le loyal que je suis,
La France, où mon âme est toute,
Ma France, c'est mon pays.

Ma France, l'intime France,
C'est mon foyer, mon berceau,
C'est le lieu de ma naissance,
Dans ce qu'il a de plus beau ;
C'est la terre où s'enracine
L'érable national,
C'est le ciel où se dessine
La croix du clocher natal.

La douce image de l'autre
Tremble encore dans nos yeux.
Laquelle aimé-je ? La nôtre ?
Je les aime toutes deux !
Indivisibles patries,
Ces deux Frances, pour toujours,
De tout notre coeur chéries,
Ne font qu'une en nos amours.

Qu'un lâche à sa race mente ;
Moi, je suis Français d'abord.
Je le dis et je le chante
Très haut, très clair, et très fort.
Mais, n'ayez soupçon ni doute,
Pour le loyal que je suis,
La France où mon âme est toute,
Ma France, c'est mon pays.

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931) Les corbeaux

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931)

Les corbeaux

Les noirs corbeaux au noir plumage,
Que chassa le vent automnal,
Revenus de leur long voyage,
Croassent dans le ciel vernal.

Les taillis, les buissons moroses
Attendent leurs joyeux oiseaux :
Mais, au lieu des gais virtuoses,
Arrivent premiers les corbeaux.

Pour charmer le bois qui s'ennuie,
Ces dilettantes sans rival,
Ce soir, par la neige et la pluie,
Donneront un grand festival.

Les rêveurs, dont l'extase est brève,
Attendent des vols d'oiseaux d'or ;
Mais, au lieu des oiseaux du rêve,
Arrive le sombre condor.

Mars pleure avant de nous sourire.
La grêle tombe en plein été.
L'homme, né pour les deuils, soupire
Et pleure avant d'avoir chanté.

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931) Le vieux parler

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931)

Le vieux parler

Si je le parle, à coeur de jour,
Au pays, avec les miens, comme
Au grand siècle tout gentilhomme
Le parlait aux abbés de cour,
C'est... Ains seulement par amour.

Ce français vieillot qu'on dédaigne,
Il est natif d'un haut Poitou
Et d'un lointain Paris itou.
Ces termes, que le chaume enseigne,
Ce sont des termes de Montaigne.

Le mot local, très clair, s'entend ;
Du puriste il choque l'oreille ;
Malgré tout, comme il s'appareille,
Et comme il s'accorde pourtant
Avec la parlure d'antan.

L'habitant, dit-on, baragouine.
L'habitant patoise ? C'est faux.
Il remet au jour des joyaux
Qu'incrustent souvent la patine
Et l'illustre rouille latine.

Oyez le parler du hameau :
Il coule comme aux goutterelles
Coulent les sèves naturelles ;
Il coule aux lèvres comme l'eau
Des érables au renouveau.

Mais que l'émoi d'un coeur l'anime,
Ce vieux français, c'est tout chez nous ;
Sous ses aspects âpres et doux,
Ce langage simple et sublime,
C'est toute la patrie intime.

Si le papier le souffre ici,
Oh ! c'est rapport à la victoire
Des patriotes de l'histoire !
Si je le parle encore ainsi,
À Dieu, grand'grâce et grand merci !

Durant trois siècles d'affilée,
La première langue du sol
A lutté sans peur et sans dol.
Malgré rafale et giboulée,
L'honneur et le droit l'ont parlée.

Le verbe du clocher natal
A gardé toute sa puissance,
Et le vieil esprit de la France
Poursuit l'ancien chemin royal
Vers les grands fonds de l'idéal.

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931) Le lac

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931)

Le lac

En forêt

à M. W. Parker.

Au creux des humides savanes,
Ceint des herbes et des lianes
Qui foisonnent dans les roseaux,
Calme, à l'abri de la rafale,
Le lac en plein soleil étale
Le miroir de ses claires eaux.

Baignant dans les détours pleins d'ombre
Leur manteau de velours vert sombre,
Des bois au faîte ensoleillé,
Dans ces profondeurs qui nous trompent,
Si frais et si moelleux s'estompent,
Que l'oeil en est émerveillé.

Vienne le crépuscule rouge,
La mare noire, où rien ne bouge,
Aux feux du ciel occidental
Brasille ; et c'est une surprise
De voir le frisson de la brise
Courir sur ce flambant cristal.

Deçà, delà, les demoiselles
Du preste éclair bleu de leurs ailes
Sillonnent le fouillis des joncs.
La truite, entre deux eaux, frétille,
Et, pour saisir l'aile qui brille,
Fait mille sauts, mille plongeons.

Assis au fond de la pirogue,
Le pêcheur, silencieux, vogue
En pagayant à petit bruit,
Tandis que l'appât nacré glisse
Et roule, miroitante hélice,
Dans le sillage d'or qui fuit.

Un cuivre au lointain sonne encore :
C'est le chasseur. L'écho sonore
Redit trois fois, cinq fois : Taïaut !
À travers la bruine qui voile
Monts et bois, la première étoile
Scintille au ciel comme un joyau.

On n'entend qu'un doux bruit de feuille.
La solitude se recueille.
Bercé par un luth idéal,
Sans cesse et sans cesse, en cadence,
Autour du pôle étoilé danse
Le météore boréal.

À peine un cri d'oiseau s'élève
Et flotte, vague comme un rêve,
Sur le clavier des flots déserts.
Déployant son vol circulaire,
La vaporeuse aube polaire
Glisse en silence par les airs.

Bientôt tout bruissement tombe.
Près des grands feux clairs de la combe
Veillent chasseurs et forestiers.
Seuls les élans roux, qui ruminent,
Avec leurs compagnes cheminent
Dans le clair-obscur des sentiers.

Derrière une blanche nuée
Au moindre souffle remuée,
Cachant son pâle front changeant,
La lune dort : la chasseresse
Sur l'eau qu'un vent léger caresse
A laissé choir son arc d'argent.

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931) Le fleuve

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931)

Le fleuve

Depuis l'âge orageux des aurores premières
Où tout un ciel pleuvait sur un monde naissant,
Suivi d'un infini cortège de rivières,
Au large, à plein chenal, en triomphe, il descend.

Superbe, délivré des ténèbres sauvages
Et des enchantements des noirs Esprits du mal,
Il proclame aux nouveaux soleils de ses rivages,
Son noble nom de saint, son beau nom baptismal.

Reflétant les espoirs des races obstinées
Dont les fils ont connu les pleurs des sombres jours,
Le vieux fleuve, le fleuve aux vastes destinées,
Le Saint-Laurent poursuit son voyage au long cours.

En vain le précipice irrite sa puissance,
De l'abîme à l'abîme, il redouble ses bonds.
Il passe. Tout le bruit de son effervescence
À la longue, s'apaise en des calmes profonds.

De la plus humble côte au plus haut promontoire,
D'amont jusqu'en aval, tout le long de ses bords,
Cent clochers, au matin, célèbrent son histoire,
Et cent clochers, au soir, modulent leurs accords.

Il passe. Que lui font les tributs qu'il absorbe ?
En sera-t-il plus beau, plus grand, plus glorieux ?
Il passe, et l'on verra se résoudre en son orbe
L'émeraude et l'azur de la terre et des cieux :

Mais voici que la Mer ose forcer l'entrée
De l'estuaire où roule un océan de flots :
Devant le Roi des eaux, la Mer exaspérée
Recule, et sa colère éclate en longs sanglots.

Et le Fleuve, le vieux fleuve, le fleuve immense,
Dont les souffles n'ont pas cessé d'être vivants,
Magnifique de calme et d'orgueil, recommence
Sa marche vers l'aurore et les soleils levants.

Tel, par les champs dorés et par les vertes plaines,
Ce peuple qui déferle et déborde en tous lieux,
Et qui, sous tous les ciels, sent courir en ses veines,
Le sang qui mit sa pourpre aux veines des aïeux.

Illustre peuple issu de ces divines sources
Qui ne pourront jamais décroître ni tarir,
Il passe, à peine ému de ses lointaines courses,
Calme, tranquille, sûr de ne jamais mourir.

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931) Le dernier gîte

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931)

Le dernier gîte

Je te reviens, ô paroisse natale.
Patrie intime où mon coeur est resté ;
Avant d'entrer dans la nuit glaciale,
Je viens frapper à ton seuil enchanté.

Pays d'amour, en vain j'ai fait la route
Pour saluer encore ton ciel bleu,
Mon oeil se mouille et ma chair tremble toute,
Je viens te dire un éternel adieu.

Oh ! couchez-moi dans la tombe bénite,
Dans un recoin discret du vieil enclos.
Ici, je viens chercher mon dernier gîte,
Je viens ici chercher calme et repos.

Ô terre sainte ! ouvre-moi ton asile,
Près des miens, jusqu'au jour du grand réveil,
Je dormirai comme en un lit tranquille,
Mon dernier rêve et mon dernier sommeil.

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931) Le ber

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931)

Le ber

La campagne, comme autrefois,
Avec le bahut, et le coffre,
Et l'armoire à vitrail, nous offre
Le ber à quenouilles de bois.

Dans le coeur d'un merisier rouge,
L'aïeul a taillé les morceaux ;
Et la courbe des longs berceaux
Illustre la naïve gouge.

Que la mère y couche un garçon,
Ou qu'une mioche y respire,
L'orgueil n'y voit que le sourire
Et la vigueur du nourrisson.

Sur la paille de ce lit fruste,
Les marmots auront un sommeil
Qui, tels l'air pur et le soleil,
Rend plus beau, plus frais, plus robuste.

Aux angles du salon fermé,
Le mobilier poudreux se fane,
Mais dans l'alcôve paysanne,
Le ber ancien n'a pas chômé.

Ce qu'il berce avec tant de joie,
Berce et berce, bon an, mal an,
Dans son bâti tout brimbalant,
C'est l'être que le ciel envoie.

C'est l'enfant de l'humble maison,
Nourri par la terre féconde
Où toute bonne graine abonde,
Et tout fructifie à foison.

Près du lit funèbre où l'ancêtre,
Le Christ aux doigts, fut exposé,
Au coeur du dernier baptisé,
Le vieux coeur français va renaître.

Et le toit natal, chaque jour,
Bénit la race triomphante
Dont la suite immortelle enfante
La vertu, la force, l'amour.

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931) La petite Canadienne

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931)

La petite Canadienne

Elle est bonne, franche, et telle
Que l'amoureux de chez nous
Ne courtise et n'aime qu'elle.
Et, de vrai, c'est la plus belle,
Avec ses Jolis yeux doux.

Beauté d'idylle naïve,
Elle a l'air, le teint vermeil,
De cette prime fleur vive,
Qui, malgré le gel, hâtive,
Fleurit sous un froid soleil.

Hormis cette grâce fine,
Charmes purs, charmes frais,
Joliesse féminine
Que la nature dessine,
Je lui sais plus rares traits.

Compatriote chérie,
Où je te vois et t'entends,
Où tu ris, c'est la patrie,
Revivante, refleurie,
Dans un rayon de printemps.

Ton sourire nous enivre ;
Ta vaillance est notre espoir ;
Le divin bonheur de vivre,
Nous le trouvons à te suivre
Par le chemin du devoir.

La Saint-Jean-Baptiste appelle
La nationalité.
Viens, ma chère, fais-toi belle ;
Dans la fête solennelle,
Viens marcher à mon côté.

Viens !... et mets, pour qu'on le dise,
Cocarde parlante, autour
De ton chapeau de payse,
La feuille qui symbolise
Le patriotique amour !

Première entre les premières,
Prends ta place dans nos rangs.
Fière au-dessus des plus fières,
Française, de nos bannières,
Ferme et haut, tiens les rubans !

Salut, princesse lointaine,
Seigneuresse des vieux lys !
Haute dame souveraine
De cette claire fontaine
Qu'ombragent les bois jolis !

Les fils n'aiment plus la terre ;
Ô patronne, enseigne-leur
Le patriotisme austère,
Le bon travail salutaire,
Qui rend solide et meilleur.

Grande chrétienne, humble sainte,
Qui, forte divinement,
Monte au calvaire, et, sans plainte,
Souffre et meurt, ivre d'absinthe,
Sur ta croix du dévouement !

Oh ! quelle gloire est la tienne !
Tu représentes, pour moi,
La pure race ancienne.
Petite Canadienne,
La France, en nos coeurs, c'est toi.

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931) La muse

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931)

La muse

Bluet aux regards d'améthyste,
Bluet aux yeux de ciel, dis-nous
Ce qui te fait être si triste ?
- J'ai vu ses yeux, j'en suis jaloux.

Et toi, simple églantine rose,
Payse aux lèvres de carmin,
Pourquoi sembles-tu si morose ?
- Je suis jalouse de son teint.

Toi, beau lys, qu'en dis-tu ? - Que n'ai-je
Le fin velouté, la blancheur,
La fraîcheur d'aurore et de neige
De sa diaphane blondeur !

Je comprends votre jalousie,
Ô fleurs, c'est qu'hier, en ces lieux,
Dans sa robe de fantaisie
La Muse a passé sous vos yeux.

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931) La mer

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931)

La mer

Loin des grands rochers noirs que baise la marée,
La mer calme, la mer au murmure endormeur,
Au large, tout là-bas, lente s'est retirée,
Et son sanglot d'amour dans l'air du soir se meurt.

La mer fauve, la mer vierge, la mer sauvage,
Au profond de son lit de nacre inviolé
Redescend, pour dormir, loin, bien loin du rivage,
Sous le seul regard pur du doux ciel étoilé.

La mer aime le ciel : c'est pour mieux lui redire,
À l'écart, en secret, son immense tourment,
Que la fauve amoureuse, au large se retire,
Dans son lit de corail, d'ambre et de diamant.

Et la brise n'apporte à la terre jalouse,
Qu'un souffle chuchoteur, vague, délicieux :
L'âme des océans frémit comme une épouse
Sous le chaste baiser des impassibles cieux.

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931) La maison vide

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931)

La maison vide

Petite maison basse, au grand chapeau pointu,
Qui, d'hiver en hiver, semble s'être enfoncée
Dans la terre sans fleurs, autour d'elle amassée.
Petite maison grise, au grand chapeau pointu,
Au lointain bleu, là-bas, dis-le-moi, que vois-tu ?

Par les yeux clignotants de ta lucarne rousse,
Pour voir plus clair, plus loin, tu sembles faire effort,
Et froncer les sourcils sous ton chapeau de mousse.
Vers ces couchants de rêve où le soleil s'endort,
Pour voir plus clair, plus loin, tu sembles faire effort.

Il est couché, là-bas, au fond du cimetière,
Celui qui t'aime encore autant que tu l'aimais.
Petite maison vieille, au chapeau de poussière,
Celui qui t'aime encore autant que tu l'aimais,
L'absent, tant regretté, ne reviendra jamais.

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931) La maison solitaire

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931)

La maison solitaire

Seule, en un coin de terre où plane la tristesse
Et le mélancolique et vague ennui des soirs,
La vieille maison blanche, aux grands contrevents noirs,
Pleure-t-elle ses gens, son hôte, son hôtesse ?

Avec sa porte close et ses carreaux en deuil
Qui ne semblent, au loin, qu'un vaporeux décalque,
La maison blanche et noire a l'air d'un catafalque
Érigé sur le vide et la nuit d'un cercueil.

À la croix des pignons tachés d'ocre et de suie,
Comme un crêpe fané, la mousse vole au vent,
Et l'on dirait, parfois, qu'il tombe de l'auvent
Une neige de cendre et des larmes de pluie.

Trois générations ont peiné dans ce lieu :
Trois générations de laboureurs de terre
Ont vécu longuement le rêve solitaire,
Qui commence à l'autel et finit devant Dieu.

Tout semble mort... Soudain, la vitre qui brasille
S'ouvre, et, tel qu'au matin, brille un coquelicot,
Une face vermeille apparaît, et l'écho
Éparpille un fredon d'enfant qui s'égosille.

Rouge d'orgueil, le fier petit gars d'habitant,
Que le ber ancestral a couvé dans la paille,
Du jeu d'un gosier d'or, éblouit la marmaille
Et fait taire le merle et le coq éclatant.

Et la vieille maison, tant de fois attristée
Par le glas et l'adieu des funèbres convois,
Reprend jeunesse et vie au seul son de la voix
Qui conjure l'ennui, dont son âme est hantée.

Le vieil âge n'est plus. Voici le jeune temps :
L'aurore entre malgré la fenêtre morose ;
La chambre se plafonne et se meuble de rose ;
La maison recommence à vivre ses vingt ans.

Et le chef du travail, dehors à coeur d'année,
Bénit l'horizon clair et le soleil levant,
Le nuage et l'oiseau, la rosée et le vent,
Qui lui promettent tous une belle journée.

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931) La branche d'alisier chantant

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931)

La branche d'alisier chantant

Je l'ai tout à fait désapprise
La berceuse au rythme flottant,
Qu'effeuille, par les soirs de brise,
La branche d'alisier chantant.

Du rameau qu'un souffle balance,
La miraculeuse chanson,
Au souvenir de mon enfance,
A communiqué son frisson.

La musique de l'air, sans rime,
Glisse en mon rêve, et, bien souvent,
Je cherche à noter ce qu'exprime
Le chant de la feuille et du vent.

J'attends que la brise reprenne
La note où tremble un doux passé,
Pour que mon coeur, malgré sa peine,
Un jour, une heure en soit bercé.

Nul écho ne me la renvoie,
La berceuse de l'autre jour,
Ni les collines de la joie,
Ni les collines de l'amour.

La branche éolienne est morte ;
Et les rythmes mystérieux
Que le vent soupire à ma porte,
Gonflent le coeur, mouillent les yeux.

Le poète en mélancolie
Pleure de n'être plus enfant,
Pour ouïr ta chanson jolie,
Ô branche d'alisier chantant !

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931) L'érable

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931)

L'érable

L'érable au torse dur et fort,
Ébrèche le fer qui l'assaille,
Et, malgré mainte et mainte entaille,
Résiste aux plus grands coups du Nord.

L'hiver, dont le cours s'éternise,
De givre et de neige a tissé
Le linceul de l'arbre glacé.
L'érable est mort ! hurle la bise.

L'érable est mort ! clame au soleil
Le chêne orgueilleux qui s'élance.
L'érable prépare en silence
Le triomphe de son réveil.

Sous le velours âpre des mousses
La blessure ancienne a guéri,
Et la sève d'un tronc meurtri
Éclate en glorieuses pousses.

Des profondeurs d'un riche fond,
L'arbre pousse ; il semble qu'il veuille
Magnifier, de feuille en feuille,
Le miracle d'un coeur fécond.

Il n'a fallu qu'une heure chaude
Pour que soudain, l'on vît fleurir,
Sur les bourgeons, lents à s'ouvrir,
La pourpre, l'or et l'émeraude.

L'érable vit ! chante en son vol
Tout le choeur des forêts en fête :
L'érable, de la souche au faîte
Frémit au chant du rossignol.

Contre la bise et l'avalanche,
Le roi majestueux des bois
A pris, et reprendra cent fois,
Sa victorieuse revanche.

L'érable symbolise bien
La surnaturelle endurance
De cette âpre race de France
Qui pousse en plein sol canadien :

Robuste et féconde nourrice
Dont le flanc, tant de fois blessé,
Des rudes coups d'un fier passé
Porte l'illustre cicatrice.

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931) L'avril boréal

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931)


L'avril boréal

Est-ce l'avril ? Sur la colline
Rossignole une voix câline,
De l'aube au soir.
Est-ce le chant de la linotte ?
Est-ce une flûte ? est-ce la note
Du merle noir ?

Malgré la bruine et la grêle,
Le virtuose à la voix frêle
Chante toujours ;
Sur mille tons il recommence
La mélancolique romance
De ses amours.

Le chanteur, retour des Florides,
Du clair azur des ciels torrides
Se souvenant,
Dans les bras des hêtres en larmes
Dis ses regrets et ses alarmes
À tout venant.

Surpris dans son vol par la neige,
Il redoute encor le cortège
Des noirs autans ;
Et sa vocalise touchante
Soupire et jase, pleure et chante
En même temps.

Fuyez, nuages, giboulées,
Grêle, brouillards, âpres gelées,
Vent boréal !
Fuyez ! La nature t'implore,
Tardive et languissante aurore
De floréal.

Avec un ciel bleu d'améthyste,
Avec le charme vague et triste
Des bois déserts,
Un rythme nouveau s'harmonise.
Doux rossignol, ta plainte exquise
Charme les airs !

Parfois, de sa voix la plus claire,
L'oiseau, dont le chant s'accélère,
Égrène un tril :
Dans ce vif éclat d'allégresse,
C'est vous qu'il rappelle et qu'il presse,
Beaux jours d'avril.

Déjà collines et vallées
Ont vu se fondre aux soleillées
Neige et glaçons ;
Et, quand midi flambe, il s'élève
Des senteurs de gomme et de sève
Dans les buissons.

Quel souffle a mis ces teintes douces
Aux pointes des frileuses pousses ?
Quel sylphe peint
De ce charmant vert véronèse
Les jeunes bourgeons du mélèze
Et du sapin ?

Sous les haleines réchauffées
Qui nous apportent ces bouffées
D'air moite et doux,
Il nous semble que tout renaisse.
On sent comme un flot de jeunesse
Couler en nous.

Tout était mort dans les futaies ;
Voici, tout à coup, plein les haies,
Plein les sillons,
Du soleil, des oiseaux, des brises,
Plein le ciel, plein les forêts grises,
Plein les vallons.

Ce n'est plus une voix timide
Qui prélude dans l'air humide,
Sous les taillis ;
C'est une aubade universelle ;
On dirait que l'azur ruisselle
De gazouillis.

Devant ce renouveau des choses,
Je rêve des idylles roses ;
Je vous revois,
Prime saison, belles années,
De fleurs de rêve couronnées,
Comme autrefois.

Et, tandis que dans les clairières
Chuchotent les voix printanières,
Et moi j'entends
Rossignoler l'âme meurtrie,
La tant douce voix attendrie
De mes printemps.

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931) France

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931)


France

Oui, mon pays est encor France :
La fougue, la verve, l'accent,
L'âme, l'esprit, le coeur, le sang,
Tout nous en donne l'assurance :
La France reste toujours France.

Aujourd'hui, tout comme naguères,
Ne sommes-nous pas, trait pour trait,
Le vrai profil, le vif portrait
Du Normand, père de nos pères ?
Français, vous êtes nos grands frères.

Il est toujours vert et vivace,
Le rameau du vieil arbre franc ;
De sève chaude exubérant,
Superbe et fort comme la race,
Il est toujours vert et vivace.

Vienne la magnifique aurore
Des fêtes d'hiver, Montréal,
Narguant l'âpre vent boréal,
Pour la danse revêt encore
Son domino multicolore.

Pittoresque palais féerique,
Sur tes murs de glace et de feu,
Le drapeau rouge, blanc et bleu
Arbore au soleil d'Amérique
La chaude gaîté d'Armorique.

Avec la fusée écarlate,
Qui crépite et crible d'éclairs
Le cristal de tes dômes clairs,
Dans l'air qu'elle échauffe et dilate
L'allégresse de France éclate.

Mais au lointain si notre oreille
Entend le clairon du combat,
C'est alors que le coeur nous bat,
C'est alors que le sang s'éveille,
Au son qui frappe notre oreille.

Sonnez, chantez, clairons sonores !
Allons, étendards, en avant !
Dans le feu, l'éclair et le vent,
Déployez vos plis tricolores !
Sonnez, chantez, clairons sonores !

L'envahissement est immense.
- Pour chasser ces grands reîtres roux,
Que ne sommes-nous avec vous,
Jeunes soldats de la défense !
Oh ! notre douleur est immense.

France, ô maternelle patrie,
Nos coeurs, qui ne font qu'un pour toi,
Encore palpitants d'émoi,
Saignent des coups qui t'ont meurtrie,
France, ô maternelle patrie !

Ici comme là-bas on pleure.
Dévorant le sanglant affront,
Baissant les yeux, courbant le front,
Silencieux, on attend l'heure.
Ici comme là-bas on pleure.

Quand finira l'horrible transe ?
Oh ! quand de Versaille à Strasbourg,
Cloche, canon, clairon, tambour
Proclameront la délivrance
De la grande terre de France ?

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931) Fleurs d'aurore

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931)


Fleurs d'aurore

Comme au printemps de l'autre année,
Au mois des fleurs, après les froids,
Par quelque belle matinée,
Nous irons encore sous bois.

Nous y verrons les mêmes choses,
Le même glorieux réveil,
Et les mêmes métamorphoses
De tout ce qui vit au soleil.

Nous y verrons les grands squelettes
Des arbres gris, ressusciter,
Et les yeux clos des violettes
À la lumière palpiter.

Sous le clair feuillage vert tendre,
Les tourterelles des buissons,
Ce jour-là, nous feront entendre
Leurs lentes et molles chansons.

Ensemble nous irons encore
Cueillir dans les prés, au matin,
De ces bouquets couleur d'aurore
Qui fleurent la rose et le thym.

Nous y boirons l'odeur subtile,
Les capiteux aromes blonds
Que, dans l'air tiède et pur, distille
La flore chaude des vallons.

Radieux, secouant le givre
Et les frimas de l'an dernier,
Nos chers espoirs pourront revivre
Au bon vieux soleil printanier.

En attendant que tout renaisse,
Que tout aime et revive un jour,
Laisse nos rêves, ô jeunesse,
S'envoler vers tes bois d'amour !

Chère idylle, tes primevères
Éclosent en toute saison ;
Elles narguent les froids sévères
Et percent la neige à foison.

Éternel renouveau, tes sèves
Montent même aux coeurs refroidis,
Et tes capiteuses fleurs brèves
Nous grisent comme au temps jadis.

Oh ! oui, nous cueillerons encore,
Aussi frais qu'à l'autre matin,
Ces beaux bouquets couleur d'aurore
Qui fleurent la rose et le thym.

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931) Claire fontaine

Nérée BEAUCHEMIN (1850-1931)


Claire fontaine

Claire fontaine où rossignole
Un rossignol jamais lassé,
N'es-tu pas le charmant symbole
D'un cher passé ?

Source de fraîche mélodie,
Qui fait fleurir, sous nos frimas,
Ce rosier blanc de Normandie,
Qui ne meurt pas !

À ce bouton de rose blanche,
L'hiver ne fut jamais fatal,
Non plus qu'au chêne qui se penche
Sur ton cristal.

Oh ! c'est une peine immortelle
Qui s'épanche, en larmes d'amour,
Dans la naïve ritournelle
De l'ancien jour.

C'est un reflet des ciels de France,
Ô fontaine, que tu fais voir,
Dans la limpide transparence
De ton miroir.

La mer Nérée Beauchemin

La mer
Nérée Beauchemin

Loin des grands rochers noirs que baise la marée,
La mer calme, la mer au murmure endormeur,
Au large, tout là-bas, lente s'est retirée,
Et son sanglot d'amour dans l'air du soir se meurt.

La mer fauve, la mer vierge, la mer sauvage,
Au profond de son lit de nacre inviolé
Redescend, pour dormir, loin, bien loin du rivage,
Sous le seul regard pur du doux ciel étoilé.

La mer aime le ciel: c'est pour mieux lui redire,
A l'écart, en secret, son immense tourment,
Que la fauve amoureuse, au large se retire,
Dans son lit de corail, d'ambre et de diamant.

Et la brise n'apporte à la terre jalouse,
Qu'un souffle chuchoteur, vague, délicieux:
L'âme des océans frémit comme une épouse
Sous le chaste baiser des impassibles cieux

Nérée Beauchemin

Crépuscule rustique Nérée Beauchemin

Crépuscule rustique
Nérée Beauchemin

La profondeur du ciel occidental s'est teinte
D'un jaune paille mûre et feuillage rouillé,
Et, tant que la lueur claire n'est pas éteinte,
Le regard qui se lève est tout émerveillé.
Les nuances d'or clair semblent toutes nouvelles.
Le champ céleste ondule et se creuse en sillons,
Comme un chaume, où reluit le safran des javelles
Qu'une brise éparpille, et roule en gerbillons.
Chargé des meules d'ambre, où luit, par intervalle,
Le reflet des rayons amortis du soleil,
Le nuage, d'espace en espace, dévale,
Traîne, s'enfonce, plonge à l'horizon vermeil.
Mais l'ombre, lentement, traverse la campagne,
Et glisse, à vol léger, au fond des plaines d'or.
Septembre, glorieux, derrière la montagne,
A roulé, pour la nuit, le char de Messidor.

Nérée Beauchemin, tiré de Patrie intime (1928)

NOTRE TERRE Nérée Beauchemin

NOTRE TERRE
Nérée Beauchemin



Terre, dont les âpres rivages
Et les promontoires géants
Refoulent les vagues sauvages
Que soulèvent deux océans ;

Terre qui, chaque avril, émerges,
Toute radieuse, à travers
La cendre de tes forêts vierges
Et la neige de tes hivers ;

Terre richement variée
De verdure et de floraisons,
Que le Seigneur a mariée
Au Soleil des quatre saisons ;

Reine des terres boréales,
Qui, sans mesure, donnes l'or,
L'or et l'argent des céréales,
Sans épuiser son grand trésor ;

Terre qui, d'un prime amour veuve,
N'a cessé de donner le sein
Au peuple, qui de toute épreuve,
Échappa toujours, sauf et sain ;

Terre de la persévérance,
Terre de la fidélité,
Vivace comme l'espérance,
Sereine comme un ciel d'été ;

Terre dont la race évolue
En nombre, en verdeur, en beauté,
Notre Terre, je te salue,
Avec amour, avec fierté !



Patrie intime, Montréal, Librairie d'Action canadienne-française ltée, 1928.

Vous aimerez aussi...

Related Posts Plugin for WordPress, Blogger...